Alexander von Humboldt et la traduction scientifique : diffusion des connaissances et leçons pour le métier moderne

Alexander von Humboldt et la traduction scientifique : diffusion des connaissances et leçons pour le métier moderne

Alexander von Humboldt est une figure majeure de l'histoire des sciences. Né en 1769 et décédé en 1859, cet explorateur et naturaliste allemand a marqué son temps par une démarche systématique et interdisciplinaire. Son voyage le plus célèbre dans les Amériques, mené avec Aimé Bonpland entre 1799 et 1804, est bien plus qu'une série d'observations zoologiques ou botaniques. Il s'agit d'une tentative de mesurer, comparer et cartographier les rapports entre climat, géographie, faune, flore et société. Humboldt n’a pas seulement décrit ce qu’il voyait; il cherchait à comprendre les mécanismes qui organisent la nature et les sociétés humaines dans des espaces éloignés. Cette démarche, qui associe terrain et théorie, a anticipé certains courants de la science moderne comme la biogéographie et l’écologie à échelle écologie des échelles. 

Pour diffuser ses découvertes et nourrir un public érudit mais varié, Humboldt a dû devenir un passeur entre les langues et les cultures. Sa maîtrise des langues et son réseau de correspondants lui permettent de traduire et de rendre accessibles des textes scientifiques qui, autrement, resteraient enfermés dans des langues techniques ou dans des archives locales. L’anecdote souvent citée est que son travail de traduction a ouvert des voies à la diffusion des savoirs non seulement en Europe mais aussi en Amérique latine. Cette faculté de passer d’une terminologie scientifique à une langue plus accessible est devenue un modèle pour le rôle social de la traduction dans les sciences. 

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Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent (1807‑1834). Images générées par intelligence artificielle (IA) et libres de droits.

La traduction n’est pas une simple transcription linguistique mais un acte de médiation qui rend possible la circulation des idées entre des publics distincts

 

La traduction comme moteur de diffusion des savoirs

Dans le cadre de l’œuvre d’Humboldt, la traduction joue un rôle central. D’une part, il lit des sources dans différentes langues et les réinterprète pour les chercheurs de son entourage et pour le grand public. D’autre part, il produit et collecte des récits de voyage qui deviennent des références comparatives pour comprendre des environnements très différents. Cette double approche, qui combine traduction et production de connaissances originales, a accéléré la mise en relation de disciplines jusqu’alors séparées par des barrières linguistiques et culturelles. La diffusion des savoirs a été facilitée non pas uniquement par la quantité des observations mais par leur accessibilité, et par le choix des canaux pour toucher des publics variés. 

Humboldt est aussi un précurseur de l’idée que la science est un voyage collectif. Les textes publiés, les cartes dressées, les tableaux climatiques et les descriptions botaniques ont circulé par l’intermédiaire de traducteurs, d’éditeurs et de correspondants. Ainsi la connaissance n’est pas une propriété privée des savants mais bien un patrimoine commun, dont la traduction est le moyen principal de diffusion. À cet égard, l’anecdote sur Humboldt illustre la portée transocéanique de ce travail: ses textes et ses notes ont circulé en Europe et dans les régions d’Amérique latine, motivant des recherches qui n’auraient pas été possibles sans l’atelier de traduction et sans les échanges de savoirs qu’elle implique.

 

Le métier d’aujourd’hui et la comparaison avec Humboldt

Comparer le métier de traducteur scientifique et de médiateur des sciences avec l’approche d’Humboldt montre que les enjeux ont évolué, mais que certains défis restent inchangés. Dans l’Europe des sciences du XIXe siècle, la traduction était un moyen de rendre visibles des observations de terrain, des méthodes de mesure et des conclusions qui nécessitaient de la patience et une connaissance fine des langues. Aujourd’hui, la traduction scientifique se double d’une diffusion mondiale et instantanée, rendue possible par les plateformes numériques, les archives ouvertes et les réseaux professionnels. Le rôle du traducteur est ainsi reconfiguré: il n’est plus seulement le passeur d’un texte, il devient un médiateur, un vérificateur de terminologie, un ambassadeur de la clarté et de la rigueur. 

Plusieurs points permettent d’établir une continuité entre Humboldt et les pratiques contemporaines :

  • Rigueur et précision : le traducteur scientifique moderne s’assure que les termes techniques restent fidèles, que les unités et les méthodes sont décrites avec clarté et sans ambiguïté.
  • Contexte et localisation : comprendre le cadre culturel et scientifique dans lequel un texte a été produit pour éviter les malentendus et adapter les explications au public cible sans déformer l’esprit initial.
  • Collaboration : Humboldt s’appuyait sur un réseau de chercheurs et de correspondants. Aujourd’hui, les traducteurs travaillent en équipe avec des auteurs, des éditeurs et de chercheurs afin de garantir la cohérence terminologique et la précision des données.
  • Diffusion et accessibilité : les contenus peuvent circuler rapidement, ce qui impose des normes d’accessibilité, de lisibilité et de traduction respectant les règles d’éthique et de diversité linguistique.
  • Éthique et transparence : l’acte de traduction est aussi un choix qui peut influencer l’interprétation; les traducteurs d’aujourd’hui s’engagent à signaler les limites, les choix de traduction et les éventuels incertains.

 

Bonnes pratiques pour les professionnels d’aujourd’hui

Pour tirer les leçons d’Humboldt et les appliquer à la pratique actuelle, plusieurs pratiques s’imposent : 

  • Travailler en proximité avec les auteurs et les chercheurs pour clarifier les objectifs, le public visé et les limites du texte source.
  • Établir des glossaires terminologiques et des guides de style qui garantissent la cohérence à travers les langues et les publications.
  • Préconiser la publication en open access lorsque possible, afin de maximiser la diffusion et l’impact des résultats.
  • Utiliser des supports variés pour diffuser les savoirs: articles, synopses, blogs, podcasts et microformats pour faciliter la republication et l’accessibilité.
  • Adapter le discours sans dénaturer les données: préserver les chiffres, les méthodes et les limites des résultats tout en rendant le message accessible au grand public.
  • Intégrer des données et des visualisations lorsque cela est possible afin d’accompagner le texte et d’exposer les conclusions de façon concrète.
  • Éduquer les publics à l’esprit critique: expliquer comment les résultats s’inscrivent dans un contexte plus large et comment les incertitudes peuvent influencer les interprétations.

 

Leçons et perspectives

La vie et l’œuvre d’Humboldt montrent que la traduction est un acte d’implication collective. Traduire des textes scientifiques revient à construire un pont entre des savoirs marginaux et des publics qui en tirent des ressources pour agir dans le monde. Si l’idéologie et les technologies ont changé, la nécessité de préserver la précision, la rigueur et la transmission des connaissances demeure. Dans le contexte actuel, la traduction scientifique est moins seulement une question de mots que celle d’un dispositif de diffusion qui tisse des liens entre chercheurs, citoyens, institutions et territoires. Humboldt a montré que les voyages et les observations, lorsqu’accompagnés d’une traduction et d’une diffusion méthodique, prennent une saveur universelle et durable.

Cette dimension est renforcée par les évolutions vers la signature électronique et les pratiques associées (voir La signature électronique qualifiée et les traductions assermentées : ce que dit la loi et la pratique).

Conclusion

Alexander von Humboldt a incarné une vision d’ensemble moderne qui unit exploration, observation et communication. Son travail de traduction a permis de diffuser des savoirs sensibles et complexes au-delà des frontières linguistiques et culturelles, nourrissant des échanges entre Europe et Amérique latine. Cette dynamique, loin d’appauvrir les textes, les enrichit en les rendant accessibles et interopérables. Pour les professionnels d’aujourd’hui, Humboldt propose une leçon simple et puissante: la traduction scientifique est un moteur de diffusion des connaissances, un lieu d’intersection entre le terrain et la théorie, et un travail collectif qui exige rigueur, écoute et sens de l’esprit critique. En revisitant son exemple, les traducteurs et les médiateurs des sciences peuvent mieux comprendre leur rôle, non pas comme des simples transmetteurs, mais comme des architectes de dialogue entre les mondes.

 

Pour aller plus loin

 

Sources et crédits :
Alexander von Humboldt (1769‑1859) – explorateur, naturaliste et géographe. Informations issues de : Wikipedia, Encyclopædia Universalis, Larousse, Encyclopædia Britannica, Kohler R. E., All Connected: The Story of Alexander von Humboldt and the Mapping of Nature (2006), et les œuvres originales de Humboldt, notamment Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent (1807‑1834). 

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