Mon interprétariat bien parfumé
Quand la passion devient une spécialité
J’ai toujours eu trois grandes passions : l’art, les parfums et la bonne littérature. Et, par bonheur, mon métier d’interprète m’a permis de réunir ces trois univers. L’un des plus grands avantages de ce métier, c’est justement cette possibilité de mettre nos compétences linguistiques au service des domaines qui nous inspirent profondément, de joindre l’utile à l’agréable, comme on le dit si bien.
Mais soyons réalistes : je ne crois pas qu’il existe des interprètes capables d’intervenir sur n’importe quel sujet, à chaud, sans préparation. À un moment donné, il faut choisir sa spécialité. Chaque domaine de l’activité humaine est vaste et complexe ; on peut certes maîtriser la terminologie de base pour des missions ponctuelles, mais pour traduire les subtilités, il faut connaître le domaine en profondeur. Cela demande des années d’expérience, beaucoup de curiosité, et surtout une passion sincère.
Comment j’ai attrapé le virus du parfum

Ma fascination pour les parfums remonte à la lecture du roman Le Parfum de Patrick Süskind. Certes, ce n’est pas très original, mais ce livre a vraiment éveillé ma curiosité pour cet art invisible et sensuel qu’est la parfumerie.
En 2010–2011, j’ai eu l’occasion de traduire du français vers le russe un roman sur les parfums, écrit par un auteur niçois en collaboration avec la Maison Galimard. Cette expérience a été ma première immersion dans le monde du parfum.
Le vrai tournant s’est produit en 2018, lorsque j’ai interprété lors du Congrès des parfums de niche à Grasse. Ce fut un défi exigeant — plus complexe que ce que je pensais — et une expérience profondément stimulante. Depuis, je me suis spécialisée dans l’interprétation dans le domaine de la parfumerie, tout en travaillant aussi comme assistante de projet pour des marques de niche.
J’ai interprété lors de grands événements, tels que le TFWA à Cannes ou des rencontres au Musée International de la Parfumerie à Grasse, ainsi que lors de négociations commerciales et visites d’usines (Galimard, Argeville, Parfex, etc.).
Aujourd’hui, j’accompagne la création d’une nouvelle marque de parfums de niche et de sa première collection de neuf fragrances — une aventure à la fois artistique et technique.
Ce que le parfum m’a appris sur l’interprétation
Le monde des parfums est à la fois rationnel et émotionnel. C’est un grand business, certes, mais c’est aussi un art. Il faut savoir dialoguer aussi bien avec des chimistes qu’avec des créateurs sensibles — les premiers parlent en formules, les seconds en émotions.
L’interprète doit donc être à l’aise dans deux langages différents :
- le langage scientifique (matières premières, procédés techniques comme la macération ou la distillation) ;
- le langage poétique des émotions olfactives : « un sillage poudré et lumineux », « une note de cœur sensuelle et ambrée ».
Un même mot peut avoir plusieurs sens selon l’interlocuteur. Par exemple, le terme “accord” désigne pour un parfumeur une combinaison harmonieuse de notes, alors que pour un musicien ou un négociateur, il évoque tout autre chose. Ce genre de nuances fait toute la différence entre une interprétation correcte et une interprétation vivante et juste.

Conseils aux interprètes débutants dans le domaine des parfums
Pour ceux qui souhaitent, comme moi, se spécialiser dans ce domaine fascinant, voici quelques pistes concrètes :
1. Construisez votre vocabulaire de base
Apprenez les familles olfactives (florale, orientale, boisée, hespéridée, etc.), les matières premières (naturelles et synthétiques) et les procédés de fabrication (maceration, filtration, distillation).
⚠️ Attention aux faux amis : certains termes semblent universels mais changent de sens d’une langue à l’autre. Par exemple, “composition” en anglais (fragrance compound) n’est pas tout à fait équivalent au français “composition olfactive”.
2. Plongez dans la culture de la parfumerie
Lisez sur l’histoire du parfum, les grandes maisons et les parfumeurs légendaires. Connaître des noms comme François Coty, Edmond Roudnitska, Jacques Polge ou Dominique Ropion vous aidera à mieux comprendre les références évoquées lors des discussions.
3. Suivez l’actualité du secteur
Avec près de 1000 nouveaux lancements par an, il est impossible de tout retenir, mais essayez au moins de suivre les grandes tendances : les marques de niche montantes, les nouvelles matières durables, les innovations techniques.
4. Cultivez votre curiosité sensorielle
Visitez des musées, des ateliers, des usines, sentez tout ce que vous pouvez, tenez un carnet olfactif. Plus votre nez sera exercé, plus votre esprit le sera aussi.
En conclusion
Devenir interprète dans le monde des parfums, c’est un peu comme traduire l’invisible. C’est un métier d’équilibre entre rigueur et sensibilité, science et poésie, mots et émotions.
Et quand la passion guide le travail, chaque mission devient une nouvelle fragrance à découvrir. 🌸
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